Les critiques sont sévères. Dans un avis publié le 24 janvier, la liste des « espèces nuisibles », établie tous les trois ans par le ministère de la Transition écologie, est mise à mal par des scientifiques indépendants de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et l’Aspas (Association pour la protection des animaux sauvages). Les experts dénoncent un système de déclaration des dégâts trop laxiste et la possibilité de tuer plus facilement les animaux incriminés, sans que l’efficacité de ces mesures ne soit jamais évaluée.
Marc Artois, écologue de la santé animale à la retraite, passé par le Laboratoire de la rage et de la faune sauvage de l’Anses (Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale) à Nancy et à l’École vétérinaire VetAgro Sup à Lyon, a participé à ce panel d’experts.
Reporterre — Vous critiquez le système actuel de classement des espèces nuisibles ou « espèces susceptibles d’occasionner des dégâts ». Comment ce classement est-il élaboré et que permet-il ?
Marc Artois — Tous les trois ans, un groupe d’experts départemental est chargé de proposer au ministère de l’Environnement une liste d’espèces susceptibles d’occasionner des dégâts sanitaires, sur l’agriculture, la biodiversité ou les biens privés. Y sont généralement inscrits des carnivores tels que le renard et la fouine et, pour les oiseaux, principalement des corvidés tels que les corbeaux, les corneilles et les pies. Ces espèces peuvent être détruites par des moyens qui ne sont pas autorisés pour d’autres types de gibier et sur des périodes de l’année beaucoup plus longues. Le renard peut ainsi être tiré et piégé absolument toute l’année.
Quels problèmes écologiques ce système pose-t-il ?
Cette réglementation simple, voire simpliste, ne correspond pas aux connaissances sur l’écologie que nous avons aujourd’hui. Cette vision selon laquelle les animaux sauvages seraient soit utiles, soit nuisibles, date du XIXe siècle. Nous ne nions pas l’existence de problèmes, mais ce n’est jamais l’espèce en elle-même qui est nuisible : c’est un animal, à un moment et à un endroit donné, qui va interférer de façon négative avec des activités humaines.
Il y a deux erreurs dans la réglementation : la notion d’espèce et l’échelle du département. Ce sont des individus, ou à la rigueur une population, qui peuvent occasionner ces problèmes. Lesquels se produisent souvent de manière extrêmement ponctuelle, et non à l’échelle d’un département.
« Pas de preuve scientifique que ces destructions limitent les dégâts »
Quant aux relations écologiques entre espèces, elles sont d’une grande complexité. Si l’on dérange ce réseau de relations en tirant dans le tas, cela peut être contre-productif. Ainsi, la pie bavarde est la seule espèce permettant le maintien de la population française de coucou geai. En effet, le coucou geai pratique le parasitisme de couvée et de soin parental dans les nids de pies bavardes. Quant aux renards, ce sont des auxiliaires qui mangent des animaux qui peuvent occasionner des dégâts dans les cultures, en particulier des petits rongeurs. Cette balance entre le risque et les bénéfices n’est jamais prise en compte.
Ce classement est-il efficace pour limiter les dégâts ?
Il n’existe pas de preuve scientifique que ces destructions permettent de limiter les dégâts. Les études menées à l’étranger ont conclu qu’il n’était pas possible de démontrer que c’est efficace. En France, une étude de l’Anses publiée en 2023 conclut que l’élimination des renards n’avait pas prouvé son efficacité dans la lutte contre les zoonoses.
D’ailleurs, à quelques exceptions près, ces destructions ne sont pas efficaces. Si le ministère valide quasiment les mêmes listes tous les trois ans, c’est bien que ça ne sert à rien.
Vous proposez de modifier en profondeur la déclaration des dégâts, voire de revenir sur cette notion. Pourquoi et comment ?
Actuellement, la notion de dégâts est beaucoup trop vague et pas fondée scientifiquement. Elle va du simple dérangement à des dommages chiffrables en termes financiers. Il existe un grand manque de rigueur dans les déclarations. Quand quelqu’un signale un dégât, il n’y a aucune contre-expertise, contrairement à ce qui se passe en cas de dommages causés par des sangliers ou de grands ongulés sauvages. On peut ainsi prétendre que c’est un renard qui a tué la poule, et pas le chien des voisins.
Surtout, quand les dégâts surviennent chez quelqu’un, c’est souvent qu’il a pris un risque. Il faut réfléchir à des méthodes d’élevage et de culture qui permettent de limiter l’exposition. Prenons l’exemple des dégâts causés par le renard et la fouine. Déjà, il est très difficile de savoir lequel des deux a commis le dommage. La plupart du temps, ils s’attaquent à de petits élevages amateurs. Or, le fait de mettre ses volailles à l’abri limite considérablement la probabilité de survenue d’un dégât — alors que tuer les fouines et les renards à la ronde ne l’empêchera pas. Si vous ne rentrez pas vos poules, ou que votre poulailler est plein de trous ou que votre porte ferme mal, c’est sûr que vous allez vous faire boulotter vos poules, vos faisans, vos canards, etc.
Avez-vous bon espoir que ce système évolue ?
Personnellement, j’ai très peu d’espoir. Les choses avancent très lentement. En 2018, nous avons demandé au ministère en charge de l’Environnement d’évaluer cette réglementation. Trois députés ont relayé cette demande lors de questions au gouvernement. Ils n’ont pas obtenu de réponse. Nous avons contacté et relancé à plusieurs reprises les cabinets des deux secrétaires d’État à la biodiversité, sans succès. C’est inquiétant, cela signifie que les gens qui voudraient discuter de ces questions avec les agriculteurs et les chasseurs ne sont pas écoutés. C’est surtout dommage, car la science nous donnerait les moyens d’améliorer la situation, alors que le fait de tuer ces animaux n’améliore rien du tout.
Tribune : Tuer les espèces nuisibles ne servirait à rien
Les critiques sont sévères. Dans un avis publié le 24 janvier, la liste des « espèces nuisibles », établie tous les trois ans par le ministère de la Transition écologie, est mise à mal par des scientifiques indépendants de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et l’Aspas (Association pour la protection des animaux sauvages). Les experts dénoncent un système de déclaration des dégâts trop laxiste et la possibilité de tuer plus facilement les animaux incriminés, sans que l’efficacité de ces mesures ne soit jamais évaluée.
Marc Artois, écologue de la santé animale à la retraite, passé par le Laboratoire de la rage et de la faune sauvage de l’Anses (Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale) à Nancy et à l’École vétérinaire VetAgro Sup à Lyon, a participé à ce panel d’experts.
Reporterre — Vous critiquez le système actuel de classement des espèces nuisibles ou « espèces susceptibles d’occasionner des dégâts ». Comment ce classement est-il élaboré et que permet-il ?
Marc Artois — Tous les trois ans, un groupe d’experts départemental est chargé de proposer au ministère de l’Environnement une liste d’espèces susceptibles d’occasionner des dégâts sanitaires, sur l’agriculture, la biodiversité ou les biens privés. Y sont généralement inscrits des carnivores tels que le renard et la fouine et, pour les oiseaux, principalement des corvidés tels que les corbeaux, les corneilles et les pies. Ces espèces peuvent être détruites par des moyens qui ne sont pas autorisés pour d’autres types de gibier et sur des périodes de l’année beaucoup plus longues. Le renard peut ainsi être tiré et piégé absolument toute l’année.
Quels problèmes écologiques ce système pose-t-il ?
Cette réglementation simple, voire simpliste, ne correspond pas aux connaissances sur l’écologie que nous avons aujourd’hui. Cette vision selon laquelle les animaux sauvages seraient soit utiles, soit nuisibles, date du XIXe siècle. Nous ne nions pas l’existence de problèmes, mais ce n’est jamais l’espèce en elle-même qui est nuisible : c’est un animal, à un moment et à un endroit donné, qui va interférer de façon négative avec des activités humaines.
Il y a deux erreurs dans la réglementation : la notion d’espèce et l’échelle du département. Ce sont des individus, ou à la rigueur une population, qui peuvent occasionner ces problèmes. Lesquels se produisent souvent de manière extrêmement ponctuelle, et non à l’échelle d’un département.
Quant aux relations écologiques entre espèces, elles sont d’une grande complexité. Si l’on dérange ce réseau de relations en tirant dans le tas, cela peut être contre-productif. Ainsi, la pie bavarde est la seule espèce permettant le maintien de la population française de coucou geai. En effet, le coucou geai pratique le parasitisme de couvée et de soin parental dans les nids de pies bavardes. Quant aux renards, ce sont des auxiliaires qui mangent des animaux qui peuvent occasionner des dégâts dans les cultures, en particulier des petits rongeurs. Cette balance entre le risque et les bénéfices n’est jamais prise en compte.
Ce classement est-il efficace pour limiter les dégâts ?
Il n’existe pas de preuve scientifique que ces destructions permettent de limiter les dégâts. Les études menées à l’étranger ont conclu qu’il n’était pas possible de démontrer que c’est efficace. En France, une étude de l’Anses publiée en 2023 conclut que l’élimination des renards n’avait pas prouvé son efficacité dans la lutte contre les zoonoses.
D’ailleurs, à quelques exceptions près, ces destructions ne sont pas efficaces. Si le ministère valide quasiment les mêmes listes tous les trois ans, c’est bien que ça ne sert à rien.
Vous proposez de modifier en profondeur la déclaration des dégâts, voire de revenir sur cette notion. Pourquoi et comment ?
Actuellement, la notion de dégâts est beaucoup trop vague et pas fondée scientifiquement. Elle va du simple dérangement à des dommages chiffrables en termes financiers. Il existe un grand manque de rigueur dans les déclarations. Quand quelqu’un signale un dégât, il n’y a aucune contre-expertise, contrairement à ce qui se passe en cas de dommages causés par des sangliers ou de grands ongulés sauvages. On peut ainsi prétendre que c’est un renard qui a tué la poule, et pas le chien des voisins.
Surtout, quand les dégâts surviennent chez quelqu’un, c’est souvent qu’il a pris un risque. Il faut réfléchir à des méthodes d’élevage et de culture qui permettent de limiter l’exposition. Prenons l’exemple des dégâts causés par le renard et la fouine. Déjà, il est très difficile de savoir lequel des deux a commis le dommage. La plupart du temps, ils s’attaquent à de petits élevages amateurs. Or, le fait de mettre ses volailles à l’abri limite considérablement la probabilité de survenue d’un dégât — alors que tuer les fouines et les renards à la ronde ne l’empêchera pas. Si vous ne rentrez pas vos poules, ou que votre poulailler est plein de trous ou que votre porte ferme mal, c’est sûr que vous allez vous faire boulotter vos poules, vos faisans, vos canards, etc.
Avez-vous bon espoir que ce système évolue ?
Personnellement, j’ai très peu d’espoir. Les choses avancent très lentement. En 2018, nous avons demandé au ministère en charge de l’Environnement d’évaluer cette réglementation. Trois députés ont relayé cette demande lors de questions au gouvernement. Ils n’ont pas obtenu de réponse. Nous avons contacté et relancé à plusieurs reprises les cabinets des deux secrétaires d’État à la biodiversité, sans succès. C’est inquiétant, cela signifie que les gens qui voudraient discuter de ces questions avec les agriculteurs et les chasseurs ne sont pas écoutés. C’est surtout dommage, car la science nous donnerait les moyens d’améliorer la situation, alors que le fait de tuer ces animaux n’améliore rien du tout.